TagEnergy met en tension un village normand
« On s’est battus contre cette installation et ils sont passés en force avec les CRS. » Au téléphone, Bernard Chérancé est ému en évoquant l’un de ses compagnons de lutte disparu, Serge Provost. C’était en 1996, leur collectif SOS lignes haute tension avait échoué à faire interdire la construction de lignes de 400 000 Volts, dans son village normand de Saint-Laurent-de-Terregatte. « Ma ferme est totalement dévalorisée depuis car elle est surplombée de deux lignes à très haute tension », déplore cet éleveur de blondes d’Aquitaine. « Cette histoire de stockage de batteries me rappelle mon ancien combat car à nouveau, il n’y a pas d’information. » Cette « histoire de batteries » est un nouveau projet électrique colossal, porté par l’entreprise internationale TagEnergy, détenue par la holding TagHolding SAS. Gourmande, en plus de l’installation de Saint-Laurent-de-Terregatte, cette société souhaite déjà construire la plus grande plateforme de stockage d’énergie par batteries en France à Cernay-lès-Reims, dans la Marne, mais aussi au Royaume-Uni, dans la péninsule ibérique ou encore en Australie.
Si le projet marnais aura une puissance de 240 MW, celui en Normandie devrait atteindre les 100 MW et serait le second site du groupe dans l’Hexagone. Le but ? Stocker le surplus de production d’énergie venant notamment de la centrale nucléaire de Flamanville, plus au nord, dans des batteries au lithium placées dans 90 containers, pour ensuite la redistribuer en cas de besoin, selon TagEnergy. « Cette entreprise ne vient à Saint-Laurent-de-Terregatte que pour faire du fric », dénonce Loïc Bailleur, le maire – sans étiquette – de la commune. « Elle rachète de l’électricité à un moment de la journée où c’est pas cher pour la revendre ensuite. Ce sont des investisseurs internationaux avides du marché français. » Difficile de donner tort à l’édile du village d’à peine 700 habitants, tant la présentation de cette installation prévue sur deux hectares, entourée d’une enceinte de cinq mètres de hauteur et à proximité immédiate d’une ligne haute tension, détone avec le bocage normand. Classiquement sur ce type d’implantation, un groupe industriel peut se targuer d’amener de l’activité dans le territoire mais là encore, TagEnergy annonce… aucun emploi à la clef.
Mairie et habitants contre l’installation… un climat électrique
Contactée par La Brèche, TagEnergy a fait savoir via son agence de communication Avast « qu’elle ne communiquerait plus sur le projet en attendant que la situation (ndlr, juridique) soit plus claire et après elle pourra reprendre son travail de pédagogie et d’explication, afin que le projet soit mené à son terme ». Comme dans les années 1990 lors de l’arrivée des lignes à très haute tension, le destin du site qui est aujourd’hui un terrain agricole, est placé actuellement entre les mains du tribunal administratif de Caen, après un recours contre le permis de construire déposé par le maire Loïc Bailleur. « Le projet en lui-même ne nous plaît pas et encore moins la manière de l’entreprise de procéder », nous confie-t-il. « TagEnergy est venue directement nous voir à la mairie pour nous demander si je connaissais le propriétaire du terrain et de leur transmettre ses coordonnées. » Ce dernier, habitant dans l’Est de la France, louera donc son terrain à l’industriel, au grand dam de quasiment tout le village. Si la mairie s’oppose au projet de deux hectares, les habitants du village ne sont pas en reste. Un collectif s’est récemment formé et compte une centaine de personnes, bien motivées à entraver le projet. « Nous sommes sur le plus gros captage d’eau du Sud Manche et le bourg, ainsi que les écoles, se trouvent à 800 mètres de leur projet », dénonce Aurélien, habitant de Saint-Laurent-de-Terregatte et cofondateur du collectif. Soutenue par plusieurs syndicats agricoles, des associations environnementales ou encore les maires des communes voisines, cette opposition citoyenne met principalement en avant le risque qu’un éventuel incendie des batteries au lithium provoquerait.
« Le nouveau projet présenté était plus concentré et les conteneurs n’étaient plus séparés que de cinq mètres au lieu de 12 », détaille le maire de la commune. « Cela intensifie les risques d’incendie et d’explosion. Le risque zéro n’existe pas. L’actualité récente sur les incendies de batteries au lithium n’a pas de quoi nous rassurer. Il n’y a que les pompiers de Saint-Lô à 110 km qui ont les capacités pour éteindre un incendie de ce type. » En Normandie, l’incendie des 12 000 batteries au lithium du groupe Bolloré à Grand-Couronne (76) il y a plus de deux ans a fortement marqué l’opinion, par exemple.
Tout le monde semble opposé au projet, mais l’industriel avance ses pions. Contactée, la préfecture de Saint-Lô a fait savoir que l’instruction pouvait être « assez longue car le dossier ne doit pas être simple ». De son côté, le tribunal administratif de Caen nous a fait savoir que « la moyenne de jugement de ce type de dossier est actuellement d’un an à un an et demi ». « À l’époque, nous avions fait retarder le chantier de trois ans », conclut Bernard Chérancé, en repensant à sa lutte du passé. Comme dans les années 1990, ce projet passera-t-il encore en force ?

