La géo-ingénierie, source de fake news complotistes
La géo-ingénierie suscite de nombreux fantasmes auprès des complotistes. Certains y voient même des manipulations des États pour provoquer des catastrophes naturelles. Sur fond de climato-scepticisme, les théories les plus folles font le tour de la toile alors que la plupart des projets de géo-ingénierie n’en sont qu’au stade embryonnaire.
« Oui, ils peuvent contrôler la météo. C’est ridicule de leur part de mentir et de dire que ça n’est pas possible. » Le tweet, surprenant, ne vient pas d’un anonyme sur le réseau social X, mais d’une élue au Congrès américain, proche de Donald Trump. Marjorie Taylor Greene publie cette affirmation le 3 octobre 2024, après que l’ouragan Milton a touché la Floride. L’élue accuse le gouvernement Biden, encore en poste à ce moment-là, de modifier le climat pour créer des ouragans. Sur le réseau social, détenu par le milliardaire pro-Trump Elon Musk, le tweet vu par plus de 5 millions de personnes alimente des théories complotistes, certains accusant le président Biden de vouloir « compromettre l’élection présidentielle américaine » via la géo-ingénierie. Interrogé par La Brèche, Fabio d’Andrea, climatologue, directeur de recherche au CNRS, débunke immédiatement l’information : « Non, les humains ne peuvent pas créer des ouragans. »
Nier les changements climatiques
Après chaque drame climatique, des fake news mettant en cause la géo-ingénierie apparaissent sur la toile. « Je pense que la sphère complotiste voudrait nous faire croire qu’on en est très loin dans le développement de la géo-ingénierie, au point de pouvoir provoquer des catastrophes naturelles », explique Marine de Guglielmo Weber, docteure en sciences de l’information et de la communication et chercheuse au sein de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM).
« Juste avant l’ouragan Hélène, j’ai réalisé un rapport convaincant et puissant sur la façon dont le gouvernement modifie le temps depuis plus d’un siècle, avec des résultats catastrophiques comme les ouragans, les inondations, etc. », répond l’internaute Stopworldcontrol.com au tweet de Marjorie Taylor Greene. Au cœur des théories du complot liées à la géo-ingénierie, on retrouve les mécaniques climato-sceptiques. D’autant que « ces théories mélangent des choses qui n’ont rien à voir », relève Fabio d’Andrea. Des chemtrails, ces traînées d’avions qui propageraient des particules pour empoisonner les populations, en passant par le programme américain Haarp qui étudie les hautes fréquences appliquées aux aurores boréales, jusqu’à l’ensemencement des nuages, le flou entretenu par les complotistes sur ce qu’est réellement la géo-ingénierie permet une diffusion massive des fake news. « Ce qui me sidère, c’est de voir que les complotistes sont par ailleurs complètement aveugles à la désinformation des industries fossiles pour nous faire croire qu’ils ne sont pas responsables des changements climatiques », soupire Marine de Guglielmo Weber.
En janvier 2025, alors que Los Angeles est dévastée par les flammes, Marjorie Taylor Greene remet le couvert : « Pourquoi n’utilisent-ils pas l’ensemencement des nuages pour créer de la pluie et éteindre les feux en Californie ? Ils savent comment faire ». Son tweet, vu 1,6 million de fois, alimente une nouvelle fois les théories les plus folles selon lesquelles les incendies ont été fabriqués par le gouvernement ou par la famille Rothschild, via des lasers1. Et elle insinue que ceux qu’elle accuse de pyromanie ont les moyens de stopper les flammes. Or, même les techniques locales de modification de la météo, souvent associées à la géo-ingénierie, ne sont pas vérifiables : « Il y a une cinquantaine de cas aujourd’hui dans le monde utilisant l’ensemencement des nuages de manière vraiment routinière pour augmenter les chutes de pluie. Mais ces techniques ne font toujours pas consensus dans la sphère scientifique sur leur efficacité », souligne la chercheuse de l’IRSEM, réfutant une autre théorie du complot selon laquelle les inondations de Valence, en Espagne, en octobre 2024, auraient été provoquées par l’ensemencement des nuages : « On a déjà du mal à prouver qu’il y a une augmentation de 5 % de la pluviométrie à la suite d’un ensemencement, alors des inondations… »
Quand les États s’y mettent
Parallèlement aux théories les plus folles, on sait que la plupart des projets de géo-ingénierie sont embryonnaires et plébiscités en grande majorité par des entreprises privées « qui ne diront jamais que ça ne marche pas », argumente Fabio d’Andrea. « La géo-ingénierie soulève de grandes questions géopolitiques et logistiques », ajoute-t-il.
Dans un article, Erin Sikorsky et Tom Ellison, membres du Centre pour le climat et la sécurité, indiquent que des États ont diffusé des théories du complot sur la géo-ingénierie à des fins géopolitiques : l’Iran a par exemple accusé l’Israël de voler ses précipitations de pluie pour causer des sécheresses, la Chine a de son côté accusé les États-Unis d’avoir fait dysfonctionner son « arme météorologique », provoquant les incendies de Maui en 2023. « À l’avenir, les États pourraient voir un intérêt croissant dans ce type de désinformation, pour détourner le mécontentement de la population face à la mauvaise gestion des risques climatiques ou pour affaiblir leurs adversaires », notent les chercheurs. Ainsi, ce sont les fake news sur la géo-ingénierie qui sont actuellement beaucoup plus utilisées par les États que la géo-ingénierie elle-même.
Elodie Potente
Illustration : Sarah Balvay
Paru dans La Brèche n° 12 (juin-septembre 2025)
- Il s’agit d’un complot antisémite vieux de 200 ans, accusant la famille Rothschild de détenir un laser dans l’espace pour créer des incendies ↩︎