Stop Micro : la lutte anti-puces qui monte, qui monte…

« De l’eau, pas des puces », tel est le cri de bataille de Stop Micro, un collectif d’habitants qui lutte contre l’accaparement des ressources par l’industrie microélectronique dans la vallée du Grésivaudan (Isère). Créé en 2022, le groupe s’oppose au projet d’agrandissement de deux usines de fabrication de semi-conducteurs, STMicroelectronics à Crolles et Soitec à Bernin, et impose progressivement sa voix dans le débat public. Fin mars s’est tenu leur grand week-end de mobilisation annuel en collaboration avec les Soulèvements de la Terre. L’événement proposait deux jours de colloque international à Grenoble pour mettre en lumière les désastres engendrés par la fabrication « mondialisée » du numérique, suivi d’une journée de manifestation devant les 6 usines à une quinzaine de kilomètres de la ville. « Il y a eu énormément de monde, encore plus que les années précédentes », se réjouit Nicolas, membre de StopMicro. La manifestation a réuni 3 000 personnes (contre 2 000 en 2024, et 1 000 en 2023). Et près de 700 participants se sont pressés dans les salles de La Bobine pour assister aux diverses conférences du colloque. Un succès qui confirme l’avancée de leur combat dans cette région considérée comme la « Silicon Valley française ».

« No puçaran ! » face à la soif de l’extension

Depuis 3 ans, Stop Micro se bat contre l’extension des deux géants. STMicroelectronics prévoit de multiplier par trois la taille de son site de production. Un projet pharaonique d’un montant de 7,5 milliards d’euros, dont 2,9 milliards de la part de l’État (voir La Brèche no 4, juillet-août 2023). Cet agrandissement intervient dans le cadre du Chip Act, un plan européen visant à doubler la part de production du Vieux Continent sur le marché mondial d’ici 2030. Quant à Soitec, l’entreprise a pour ambition d’augmenter la taille de son site de 50 %. Le projet, temporairement suspendu, doit notamment s’appuyer sur l’artificialisation de onze hectares de terres agricoles prévue dans le cadre de l’élargissement d’une Zone d’activité économique (ZAE) piloté par la communauté de communes. « Ces industries sont hégémoniques, et rien de ce qu’elles font ici n’est mis en critique. Nous voulons leur montrer qu’on est là ! », affirme Nicolas.

Implantées sur le territoire depuis les années 1990, les deux entreprises n’ont cessé de croître et les impacts de leur activité avec. La production de semi-conducteurs consomme d’énormes quantités d’eau. Les puces sont gravées sur des plaques de silicium (ou « wafers »), qui nécessitent d’être rincées abondamment entre chacune des centaines d’étapes de fabrication, à l’aide d’une eau ultra-pure. 1 700 litres pour une seule plaquette. En 2023, les usines consommaient à elles deux 190 L/s, et rien qu’avec l’agrandissement de STMicroelectronics, la consommation pourrait atteindre plus de 300 L/s. Soit l’équivalent de la consommation de la ville de Grenoble, directement prélevé dans le réseau d’eau potable de la métropole enviée pour la qualité de son eau. Et une fois utilisées, les eaux rejetées sont chargées en azote, phosphore, cuivre ou en Pfas.

Face aux accusations, STMicroelectronics et Soitec sont peu bavardes, affichant seulement certains de leurs efforts en matière d’environnement. Dans un communiqué datant de janvier 2024, Soitec affirme avoir diminué de « 30 % sa consommation d’eau par unité produite entre 2021 et 2023 » et annonce « une réduction supplémentaire de 30 % d’ici 2030 ». Quant à ST, la firme indique « avoir réduit de 41 % l’eau utilisée par plaquette produite entre 2016 et 2022 grâce à de nouveaux process de fabrication1 ». Dans leurs discours, les entreprises arguent surtout la nécessité stratégique de leur activité, indispensable à la réindustrialisation, la décarbonation et la souveraineté de l’économie française2.

L’illusion de la relocalisation

Soutenues par les pouvoirs publics, ces extensions sont présentées comme une opportunité de relocaliser l’industrie électronique en Europe. Un « mensonge » selon le collectif. « En réalité, il s’agit de la relocalisation d’un seul segment de la chaîne de valeur », explique Nicolas. STMicroelectronics et Soitec se chargent uniquement de la gravure des puces sur les plaquettes de silicium. « Les matières premières sont extraites au Congo, au Chili, en Indonésie… Les galettes de silicium sont manufacturées en Chine en passant par le Japon. Une fois que les circuits sont gravés, les disques partent au Maroc, à Malte, aux États-Unis ou en Malaisie, pour être découpés et testés. Ça n’a rien d’une activité locale. » Les puces électroniques produites servent ensuite à alimenter les industries de l’automobile, de l’internet des objets ou encore de l’armement… « Ce maillage complexe fait que nous sommes à l’intersection de plein de luttes. Notre dernière manifestation comptait 5 cortèges d’associations : anti-extractivistes, anti-militaristes, paysannes, technocritiques et écologistes », précise Mathilde, membre active de StopMicro.

Outre l’impact de ces usines et fort de ces alliances, le collectif entend questionner la fuite en avant numérique de nos sociétés. « On cherche à repolitiser cette question des technologies pour en faire un enjeu démocratique », poursuit la militante. Peu présents sur la toile, les membres privilégient les actions de terrain souvent accompagnées d’une touche d’humour : fausse dégustation d’eaux polluées devant le conseil des communes ou fausse « Baignade Party » dans les eaux asséchées du Capronoz. Prochaine étape : attirer l’attention sur l’enquête publique visant à obtenir les autorisations pour l’exploitation de terres agricoles destinées à la ZAE et convoitées par Soitec. Qu’à cela ne tienne, si les usines ne cessent de s’agrandir, les rangs de Stop-Micro aussi. « No puçaran ! »

Christelle Gilabert

Illustration : Prune Charlet

Paru dans La Brèche n° 12 (juin-septembre 2025)

  1. « À Grenoble, l’agrandissement de STMicroelectronics relance la question du partage de l’eau », Le Monde, 10 juin 2023 ↩︎
  2. Dossier de concertation préalable, STMicroelectronics, mars 2024 ↩︎