Kirsty Coventry, la « Golden Girl » du Zimbabwe au service des Dieux olympiques

En mars 2025, les membres du Comité international olympique (CIO) ont élu pour la première fois une femme à leur tête : Kirsty Coventry, probablement la plus grande nageuse africaine de l’histoire (deux médailles d’or, quatre d’argent, une de bronze rien qu’aux JO). De quoi faire croire à un changement alors que le système n’a jamais été aussi bien protégé avec l’ancienne « Golden Girl » de Robert Mugabe, le défunt potentat zimbabwéen. « Des rares femmes africaines dans le sport, ils ont élu la seule blanche. On se fiche de la couleur de peau des gens, mais pour eux, c’est un symbole, croyez-moi », soupire un ex-membre du CIO, une organisation au fonctionnement très particulier, comme le rappelle le journaliste danois Lars Jørgensen qui en révèle les secrets inavouables depuis plus de vingt-cinq ans : « Le mouvement olympique n’est rien d’autre qu’une entreprise globale, une secte semi-religieuse multimillionnaire qui a réussi à convaincre depuis une centaine d’années les meilleurs athlètes du monde que s’ils participaient gratuitement aux Jeux olympiques, ils auraient alors une place dans le paradis du sport pour toujours. C’est comme un magasin fermé, une société parallèle qui est dirigée par une sorte de dictature avec sa propre force policière (ndlr, Agence mondiale antidopage) et son propre tribunal (ndlr, Tribunal arbitral du sport). »

Contrairement à la FIFA, le CIO bénéficie d’un relatif anonymat médiatique hormis lors des périodes électorales pour désigner les futures villes hôtes des Jeux et le prochain président. « Et encore, les gens ne s’intéressent pas en profondeur à ce mouvement olympique qui bénéficie d’une intense campagne de lobbying et de politique pour se donner une bonne image », poursuit Jørgensen. De fait, l’élection de Kirsty Coventry, une femme, africaine de surcroît, à la tête d’une telle organisation, a été une bénédiction pour donner l’apparence d’un CIO évolutif, moderne et tolérant.

Une bénédiction pour l’image du CIO

Réunis du 19 au 21 mars dans le luxueux cadre de Costa Navarino en Grèce, les membres du CIO ont choisi la Zimbabwéenne devant des figures de l’olympisme, dont l’Espagnol Juan Antonio Samaranch, l’Anglais Sebastian « Lord » Coe ou le président du Conseil départemental du Morbihan, David Lappartient, qui cumule aussi les fonctions de président du Comité olympique français et de l’Union cycliste internationale.

Élue dès le premier tour (49 votes sur 97) pour un mandat de huit ans, Kirsty Coventry a bénéficié de l’appui de Thomas Bach, le président sortant. En poste depuis 2013, celui qui se fait surnommer le « roi Soleil » a usé de toute sa diplomatie et de son influence auprès des 109 membres actifs du CIO, dont 75 ont été cooptés sous son règne. Sans aucun principe démocratique ou de transparence, avec des membres historiques allant de l’Émir du Qatar au prince Albert de Monaco en passant par la princesse Nora de Liechtenstein, cette drôle d’organisation répond à des règles et des volontés bien précises : celles de son maître. « Que les Dieux de l’olympisme continuent de vous guider, cher président », s’exclamait ainsi Nicole Hoevertsz, une ancienne nageuse d’Aruba (Antilles néerlandaises), considérée comme l’une des obligées du roi Soleil, qui l’a couronnée vice-présidente en 2021. Une remarque « qui n’aurait pas été déplacée au sein du politburo de Pyongyang », écrit ironiquement The Guardian, le 22 mars 20251.

Icône nationale, Coventry avait été qualifiée de « Golden Girl » par Robert Mugabe, héros de la décolonisation et de la libération zimbabwéennes, qui gouverna ensuite presque unilatéralement le pays pendant plus de 37 ans. Ce dernier lui offrit même une valise remplie de 100 000 dollars à son retour des Jeux de Pékin en 2008. Un cadeau « gênant » à un moment où la population souffrait de l’inflation excessive et de pénuries alimentaires.

Si Coventry se défendit, arguant qu’elle avait donné cette somme « à des organisations caritatives » sans livrer aucun nom, elle continua d’être la chouchou d’Emmerson Mnangagwa, successeur de Mugabe à la tête du pays depuis 2017. Cet ancien fidèle est également connu comme le « Crocodile », surnom hérité du temps où il s’occupait de la sécurité d’une brigade nord-coréenne venue prêter main forte à Mugabe au milieu des années 1980.

Intronisée ministre des Sports du Zimbabwe en 2018, Coventry accepta sa mission dans un gouvernement sanctionné a posteriori par le Trésor américain pour « corruption et violation des droits de l’homme », notamment pour avoir protégé des trafiquants de diamants et d’or sévissant dans le pays. Des sanctions qui visèrent directement le Crocodile et qui ne semblaient pas gêner Coventry, « son trésor national » comme l’appelait le chef de l’État.

En bonne politicienne, au bilan contestable au ministère des Sports durant ses sept années de mandature2, Coventry répète à qui veut l’entendre qu’il ne faut pas « mélanger la politique et le sport ». Des formules toutes faites, plaisant aux maîtres du pays et de l’olympisme : Mugabe, le Crocodile ou Bach, quelle différence au fond pour Coventry ?

Ouvert et tolérant, mais uniquement pour les caméras : le CIO est décidément un drôle de monde où le président sortant, Bach, a été désigné président d’honneur à vie (!) en marge de l’élection de sa protégée, qui emmènera la famille olympique en Italie avec Meloni pour les Jeux d’hiver 2026 et à Los Angeles avec Trump pour les Jeux d’été 2028. Comme l’a dit Coventry le soir de sa nomination : « L’avenir du mouvement olympique est radieux ! »

Romain Molina

Illustration : Vincent Couturier

Paru dans La Brèche n° 12 (juin-septembre 2025)

  1. « Sent to Coventry: how Bach’s power helped Zimbabwean’s shock IOC win », The Guardian, 22 mars 2025 ↩︎
  2. Le Zimbabwe n’ayant par exemple aucun stade de football aux normes internationales, la FIFA avait suspendu la fédération pour ingérence politique ↩︎