Sanglier, animal politique devenu prolifique
En 2017, un étudiant explore la grotte indonésienne de Leang Bulu Sipong. Il y découvre la plus ancienne peinture rupestre figurative connue à ce jour : un tableau de quatre sangliers peints il y a plus de 43 000 ans. Capable de parcourir une centaine de kilomètres dans la nuit, doté de défenses aiguisées comme des rasoirs et d’un cuir pouvant atteindre 3 cm d’épaisseur1, le sanglier a toujours été la bête noire à abattre.
Animal terrifique et symbolique (voire gastronomique), le sanglier est devenu au XXIe siècle un animal politique. Car il a envahi l’espace public. En Italie, en 2024, près de 180 militaires sont mobilisés pour le chasser2. Berlin est désormais appelée « la capitale des sangliers ». Bordeaux, Marseille, Montpellier, on ne compte plus les villes françaises dans lesquelles vient gambader cette charmante bestiole. « Comment s’explique ce paradoxe d’une expansion démographique des grands mammifères sauvages à l’heure de la sixième extinction ? », s’interroge l’anthropologue Charles Stépanoff dans L’animal et la mort3. La réponse est multiple : le loup, principal prédateur du sanglier, ne fait qu’une timide réapparition, les surfaces forestières – habitat naturel du sanglier – ont augmenté de plus de 50 % au cours du XXe siècle, le réchauffement climatique en favorise la reproduction et les surfaces cultivées de maïs et de colza (dont le sanglier raffole) ont explosé.
Jusqu’à 700 euros la journée sur des chasses commerciales prestigieuses
« L’humain a créé les conditions de la surpopulation de sangliers, comme l’explique l’écologue Raphaël Mathevet – auteur de Sangliers, Géographies d’un animal politique4 – au Journal du CNRS5. Dès les années 1970, on a élevé des sangliers pour les lâcher dans la nature; on les a hybridés avec des porcs domestiques pour augmenter leur capacité reproductive – produisant ce qu’on appelle communément des “cochongliers”. Le sanglier a été pour ainsi dire “cynégétisé” : on a fait de lui, non plus une espèce sauvage, mais une espèce-gibier transformée par la chasse et pour la chasse. »
Et la solution serait la chasse… On abat environ 800 000 sangliers par an aujourd’hui alors que seules 35 000 bêtes étaient abattues 50 ans plus tôt.
La chasse au sanglier peut rapporter gros, explique Charles Stépanoff : « Les tarifs peuvent atteindre jusqu’à 700 euros la journée sur des chasses commerciales prestigieuses appâtant le citadin. » La rentabilité de la forêt devient ainsi directement liée à la quantité de gibier disponible. Les pratiques d’agrainage qui consistent à nourrir artificiellement les sangliers pour les maintenir dans leur espace naturel – mais qui favorisent aussi leur prolifération – font le bonheur des chasseurs et des propriétaires forestiers. Cela permet de rendre disponibles au tableau de chasse d’un richissime propriétaire en Sologne des milliers de bêtes dont les cadavres seront enfouis dans de gigantesques charniers à l’issue d’une journée de chasse partagée par des stars de la finance, des affaires et des médias. Des pratiques qui modifient le paysage, comme l’explique le journaliste Jean-Baptiste Forray dans Les nouveaux seigneurs6 : « Un rideau de fer s’abat sur la Sologne. Une muraille de 4 000 kilomètres de clôture élevée le long des routes et des chemins communaux. »
En 2023, l’État accorde 80 M€ aux chasseurs pour réduire les dégâts de gibier de 20 à 30 % à l’horizon 2025. « L’État subventionne une fédération qui s’est montrée incapable de gérer un problème, pire elle n’a aucun intérêt à faire une véritable régulation », souligne Richard Holding, de l’Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages). « Si on veut limiter les sangliers, on interdit l’agrainage et on favorise le retour du loup, son prédateur naturel. Mais il y a beaucoup d’incohérences de la part de l’État, qui se met à genoux devant le lobby de la chasse. Les chasseurs représentent une manne électorale. On dénombre un peu moins d’un million de permis de chasse actifs en France mais on estime à 3,5 millions le nombre d’électeurs potentiels. »
Daniel Damart
Illustration : Martin Texier
Paru dans La Brèche n° 11 (mars-mai 2025)
- 1 Pour la description (drolatique) du sanglier, voir « La compagnie des bêtes noires », La Hulotte no 23, 1974 ↩︎
- « En Italie, des militaires appelés en renfort pour chasser les sangliers », Le Monde, 14 mai 2024 ↩︎
- Stépanoff Charles, L’animal et la mort, La Découverte, 2021 ↩︎
- Mathevet Raphaël et Bondon Roméo, Sangliers, Géographies d’un animal politique, Actes sud, 2022 ↩︎
- « L’humain a créé les conditions de la surpopulation de sangliers », Journal du CNRS, 8 août 2023 ↩︎
- Forray Jean-Baptiste, Les nouveaux seigneurs – Comment les ultrariches ont colonisé la Sologne et dénaturé la chasse, Les Arènes, 2024 ↩︎