Le lobby de la chasse peine à se faire une place à Bruxelles

Pour le commun des mortels, tenter de comprendre le fonctionnement des institutions européennes, c’est prendre le risque de s’arracher les cheveux. De ce fait, la santé capillaire des chasseurs est mise à rude épreuve tant l’Union européenne occupe un rôle important dans leur vie quotidienne. À titre d’exemple : si les chasseurs européens ne peuvent plus tirer avec des grenailles ayant une teneur en plomb supérieure ou égale à 1 % dans les zones humides, c’est à cause d’un règlement européen datant de février 2023. Aucun arrangement possible, puisque les règlements, à la différence des directives, sont applicables partout dès le moment où ils sont votés, et ont une valeur supérieure aux lois nationales. Comme la grenaille de plomb est la munition la moins coûteuse et la plus répandue parmi les chasseurs, la mesure a provoqué la colère des intéressés.

Pour peser sur les réglementations européennes, les chasseurs n’ont pas d’autre choix que d’effectuer un travail de lobbying à Bruxelles. C’est le travail de la Fédération des associations de chasse et de conservation de la faune sauvage (Face), organisme basé à Bruxelles défendant les intérêts des chasseurs européens. Fondée en 1977, elle est présidée depuis 2024 par le Néerlandais Laurens Hoedemaker, et tente surtout d’influer sur les parlementaires européens. Ainsi, elle assure le secrétariat d’un intergroupe d’une centaine d’eurodéputés. Parmi les idéaux défendus figure notamment la défense des chasses traditionnelles et d’une certaine culture de la ruralité. Les dernières élections européennes ont vu la composition du Parlement évoluer : la droite s’est renforcée, et l’extrême droite – à travers les groupes Patriotes (comprenant le RN) et ECR (dirigé par Giorgia Meloni) – constitue aujourd’hui une minorité de blocage. Une bonne nouvelle pour le lobby de la chasse, qui peine toutefois à se matérialiser aujourd’hui.

« Moins forts à Bruxelles qu’à Paris »

En effet, la Face ne semble pas réellement influer sur les politiques européennes, là où les groupes d’intérêt écologistes réussissent mieux à mettre en avant leur cause. Ces dernières années ont été marquées par de grandes avancées sur la protection des loups, celle du gibier d’eau, ou encore l’interdiction de la chasse à la glu. En revanche, il est très difficile d’identifier une victoire notable pour les chasseurs. « La place des chasseurs est moins forte à Bruxelles qu’à Paris. En France, leur poids vient de leur capacité à faire croire dans leur puissance électorale dans les circonscriptions rurales, et dans la connexion avec les mouvements de la ruralité. À Bruxelles, par rapport aux organisations de défense de l’environnement, ils ne sont pas du tout compétitifs en matière de structure », d’après Guillaume Courty, professeur de science politique à l’université d’Amiens et spécialiste du lobbying. Le chercheur relève une « forte ouverture du système européen sur le pôle ONG ».

Rancœur contre le « diktat de Bruxelles »

Ces dernières années, de nombreuses réglementations ont irrité les chasseurs. Discuté en ce moment, le projet de moratoire sur la chasse aux oiseaux migrateurs renforce cette défiance. Président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen1 a accusé, dans une interview publiée en décembre dernier, la Commission européenne de « déni scientifique » concernant les réglementations prévues sur la chasse aux oiseaux migrateurs, et a assumé « fustiger cette Europe aux mains des technos et donc hors-sol ». Exemple choisi d’une longue tirade au parfum d’amertume et d’euroscepticisme. En novembre 2022, Willy Schraen avait également lancé, dans la même veine : « Sauvons la chasse et les traditions françaises du diktat de Bruxelles ! »2. Le patron de la chasse française avait bien tenté d’influer sur le jeu politique avec son « Alliance Rurale », mouvement né à l’occasion des élections européennes, mais cet essai fut un échec, au vu de son faible score face au plébiscite du Rassemblement National. Lequel a tout intérêt à tenter de récolter le fruit du mécontentement des chasseurs. Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, un fief de la chasse, aurait tort de s’en priver : il s’oppose au moratoire sur les oiseaux migrateurs, et se fait l’avocat des chasseurs face à la Commission européenne. Et ce n’est sûrement que le début.

Mehdi Laïdouni

Illustration : Sarah Balvay

Paru dans La Brèche n° 11 (mars-mai 2025)

  1. « Je n’accepte pas la paranoïa dont fait preuve l’État sur la détention d’armes de chasse », paru sur le site Chassons.com, 31 décembre 2024 ↩︎
  2. « Willy Schraen, président FNC, adresse un message à tous les chasseurs », www.face.eu, novembre 2022 ↩︎