Les chasseurs sont-ils vraiment les « premiers écolos de France » ?

Pour répondre à cette question, allons dans le Sud-Ouest où la chasse est une affaire culturelle majeure. En Gironde, premier département de chasseurs en France, leur présence est si importante qu’ils remplacent bien souvent d’autres associations sur leur terrain : l’écologie. Avec un bilan en apparence exemplaire.

6 000 hectares sur 220 sites à travers 64 départements. Autant de milieux gérés par la Fondation pour la protection des habitats de la faune sauvage. Il s’agit de zones humides, de milieux naturels à préserver à travers tout le pays. Pourtant, les associations écologistes n’y sont que peu impliquées. Cette fondation est en réalité financée quasi-exclusivement par les fédérations de chasseurs, désormais omniprésentes dans la lutte en faveur de l’environnement.

En longeant la Garonne au nord de Bordeaux, le paysage se fait rapidement plus vert, plus rural. Nous n’avons pourtant quitté le pont d’Aquitaine, centre né-ralgique des embouteillages matinaux bordelais, que quelques minutes auparavant, mais l’impression d’être en pleine campagne est présente.

Au bout de quelques kilomètres, nous arrivons au domaine de Pachan, sur la commune de Ludon-Médoc, une zone en pleine campagne avec un petit lac, des oiseaux en pagaille, des arbres dispersés çà et là et une impression de nature pas trop entretenue, presque sauvage. Nous sommes accueillis par le panneau « Fédération départementale des chasseurs de Gironde ».

Car oui, ce sont bien les chasseurs qui gèrent cette zone de 83 hectares. Une réserve de chasse qui se veut aussi être un lieu dédié à la biodiversité et à la protection de l’environnement. « Nous sommes agréés en tant qu’association de protection de l’environnement, détaille Emmanuel Robin, directeur des territoires en charge de la gestion du site. À ce titre, nous avons des missions : conserver les zones humides et aider à la préservation des espèces. Mais aussi des devoirs, nous sommes très encadrés. »

Il faut dire que la fédération girondine est particulièrement visible. Avec 35 000 pratiquants, c’est la plus importante de France et 1 000 personnes y passent leur permis chaque année. Il est clair que la chasse fait partie intégrante de la culture locale du Sud-Ouest, notamment dans les zones plus rurales.

Fusils à blanc et oiseaux sauvages protégés

Pourtant, à voir aujourd’hui le domaine de Pachan, le contraste est fort avec l’image traditionnelle de la chasse. Le plan d’eau accueille plus d’une dizaine d’espèces d’oiseaux différentes. À portée de vue du local, ils profitent d’une ambiance paisible et se multiplient davantage qu’ailleurs dans les environs. Les seuls fusils sont chargés à blanc et ne servent qu’à l’entraînement car la chasse est strictement interdite sur ces réserves. Selon Emmanuel Robin, ce lieu est désormais « une vitrine » pour montrer ce qu’est la chasse aujourd’hui. « Nous sommes conscients de la crise écologique actuelle, ajoute-t-il. Le réchauffement climatique a bouleversé le comportement des animaux, c’est notre devoir d’aider à les préserver. Nous ne faisons pas que de la chasse, mais aussi ce type d’action, avec l’envie de mener de la pédagogie et de la sensibilisation autour de la nature. »

Sept ans après les déclarations tonitruantes de Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs, pour qui les chasseurs sont les « premiers écologistes de France », la prophétie s’est-elle réalisée ?

Des chasseurs « désolidarisés » des propos de Willy Schraen

« Pas du tout !, assure Emmanuel Robin. Nous nous sommes totalement désolidarisés de ces propos, on ne peut pas affirmer ce genre de chose sans preuve, nous n’avons pas un tel pouvoir. En revanche, nous avons une connaissance de la nature, et nous pouvons jouer notre rôle, à notre niveau. »

« Ils sont nombreux, chez les chasseurs, à être des naturalistes, presque des experts », admet Philippe Barbedienne, président de la Sepanso Gironde (Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest). Cette association environnementale existe depuis plus d’un demi-siècle et n’est pas en conflit avec les chasseurs, bien au contraire. « Il arrive fréquemment que nous partagions les mêmes positions. Contre la LGV (Ligne Grande Vitesse) entre Bordeaux et Toulouse par exemple, ou contre différents projets d’artificialisation des sols. Il ne faut pas les caricaturer ! »

Ces alliances sont le fruit d’un constat : pour une association environnementale, les chasseurs ne sont pas les premiers coupables d’un affaiblissement de la biodiversité, loin derrière les destructions de zones humides et les nouvelles constructions. Pour autant, la bonne entente a ses limites : « Il y a des points où nous ne convergeons pas, nuance Philippe Barbedienne. Nous étions opposés par exemple à la pratique du déterrage du blaireau, injustifiable, ou à la pratique de la chasse à la tourterelle des bois, une espèce en danger (ndlr, dont la chasse est désormais interdite). Mais ici, en Gironde, la fédération est raisonnable, et on peut échanger avec eux. » Tout cela laisse tout de même un goût amer à la cohabitation. « Dans les associations, c’est comme en famille. Parfois on ne parle pas de religion ou de politique, eh bien nous on ne parle pas de chasse ! C’est une source de désaccord. »

« Il ne faut pas oublier que la finalité de la chasse… C’est la chasse ! Pas la protection de la nature »

Yves Verilhac, ancien directeur général de la LPO France

Mais les chasseurs sont-ils en bons termes avec l’association souvent désignée comme la plus anti-chasse, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) ? Plutôt, oui. En 2020, elle publie un atlas des oiseaux migrateurs en collaboration avec les fédérations de chasse1. Malgré tout, l’ambiance reste parfois tendue, raconte Yves Verilhac, ancien directeur général de la LPO France : « Nous ne sommes pas contre la chasse par principe. Mais nous dénonçons les abus, et ils sont nombreux. Il est vrai que les instances locales sont assez ouvertes à la discussion et que nous pouvons travailler ensemble parfois. Mais il ne faut pas oublier que la finalité de la chasse… C’est la chasse ! Pas la protection de la nature. »

En conflit régulier avec les chasseurs, la LPO a par exemple demandé (et obtenu en mai 2024) l’interdiction de la chasse aux alouettes. Ce qui a soulevé la colère du président de la fédération, Henri Sabarot, qui dénonce « une atteinte aux traditions », ajoutant que « nos opposants veulent nous prendre ce qui nous est le plus cher »2. Il demande même à Emmanuel Macron, alors en pleine crise suite à la dissolution de l’Assemblée, de « sanctuariser les chasses traditionnelles ».

« Ils vont jusqu’au bout pour faire du lobbying et valoriser la chasse »

Avec ses plus de 40 000 adhérents, et un président qui est également conseiller régional, la fédération de chasse de Gironde a, de fait, un statut d’incontournable, également dans la lutte pour la sauvegarde de l’écologie. « Il leur arrive régulièrement d’acheter des zones humides où ils interdisent la chasse pour la préserver. Mais quand ça vient de quelqu’un d’autre, ils sont plus réticents, et y voient une atteinte à leurs pratiques. Parfois, quand nous nous lançons sur un projet, nous avons peur qu’ils fassent tout capoter », relate Philippe Barbedienne, de la Sepanso Gironde. « Ils vont jusqu’au bout pour faire du lobbying et valoriser la chasse. Et nous sommes là pour les en empêcher », ajoute Yves Verilhac. En 2014, le conflit avait atteint son paroxysme dans les Landes avec le député Henri Emmanuelli, largement soutenu par les chasseurs, qui militait pour autoriser la chasse aux ortolans, regrettant de voir « des ortolans plus dans les médias que dans nos assiettes »3. Tout cela avait donné lieu à des joutes verbales contre Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO. Et même à des agressions par des chasseurs.

Les associations dénoncent notamment une rupture entre les volontés progressistes de la fédération, et les pratiques de « la base ». Des hommes, pour la plupart âgés de plus de 60 ans, avec un penchant pour le conservatisme. Les fédérations de chasseurs se retrouvent alors tiraillées entre des fidèles de longue date, attachés à leurs traditions, et de potentiels nouveaux arrivants plus jeunes, plus modernes, parfois même davantage de femmes, qui pourraient redonner vie à un secteur qui perd du terrain d’année en année. En 2022, ils sont passés sous la barre du million de pratiquants, et le public est de plus en plus âgé, sans renouvellement4. Et si les ambitions écologistes pourraient amener du sang neuf, les habitudes ont la vie dure.

Hugo Ruher

Illustration : Rokessane

Paru dans La Brèche n° 11 (mars-mai 2025)

  1. LPO, Atlas des oiseaux migrateurs et hivernants d’Aquitaine, mars 2020 ↩︎
  2. « Chasses traditionnelles en Gironde : “Toucher à la palombe serait une déclaration de guerre” », Sud Ouest, 6 septembre 2024 ↩︎
  3. « Des ortolans plus dans les médias que dans nos assiettes », France 3 Nouvelle Aquitaine, 8 septembre 2014 ↩︎
  4. « Société, modes de vie, loisirs de nature, enjeux pour l’avenir de la chasse », Chasse, nature & société, lettre no 2, hiver 2019 ↩︎