À Marseille, la lutte s’organise face à l’arrivée massive des data centers
En décembre dernier, la préfecture des Bouches-du-Rhône a donné son feu vert à la construction d’un nouveau data center à Marseille, déjà le cinquième depuis 2014. Cette fois-ci, la contestation gagne du terrain jusque dans la majorité municipale.
Janvier 2023, la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, Martine Vassal (LR), présente ses vœux à la presse depuis un data center marseillais. Inexistants sur le territoire il y a dix ans, ces entrepôts de stockage des données en ligne sont devenus le symbole de la croissance du numérique dans le département. Depuis 2014, Marseille est passée de la 44e à la 7e place mondiale des hubs internet en développant massivement câbles sous-marins et data centers. Elle en compte aujourd’hui quatre avec un nouveau prévu pour 2026. Appelé MRS5, il est présenté comme « le vaisseau amiral de Marseille en tant que capitale européenne du numérique » par Digital Realty, entreprise américaine gestionnaire.
Mais pour la première fois, le projet fait l’objet d’une véritable contestation. En novembre, le jeune collectif Le nuage était sous nos pieds organise un festival contre le projet avec conférences et projections. On y retrouve aussi bien des associations écologistes que locales, comme le bureau des guides qui organise une visite autour des data centers pour montrer leurs impacts sur le paysage. C’est bien la question environnementale qui a d’abord alerté le collectif, formé un an auparavant. À ce moment, la préfecture met en demeure Digital Realty en raison de fuites de gaz néfastes liées à la climatisation.
La consommation électrique de 90 000 habitants
Refroidir ces ordinateurs est aussi gourmand en électricité, ce qui a poussé les sept comités d’intérêt de quartier (CIQ) du 16e arrondissement de Marseille à rejoindre la mobilisation. Dans cet arrondissement, qui comporte une partie du port de la cité phocéenne – où s’installent les data centers –, les habitants craignent un conflit d’usage avec l’électrification à quai des navires, mesure attendue de longue date face aux nuisances atmosphériques et sonores. « On nous parle de 2029 pour l’électrification car il faut un nouveau poste source. Mais pour le data center, il n’y a pas de problème d’électricité ! », dénonce Patrick Robert, président des CIQ du 16e arrondissement. Difficile de vérifier ce lien, l’entreprise ne communiquant pas la consommation prévue du centre et son effet sur le réseau dans son étude d’impact. Les associations estiment une consommation équivalente à celle d’une commune de 90 000 habitants.
Pour réduire ce coût, le gestionnaire vante massivement sa technologie du river cooling, utilisant l’eau d’une source locale pour contribuer au refroidissement du système. Le nuage était sous nos pieds fustige un « détournement de l’eau », dans une région en proie aux sécheresses, pour une efficacité quasi nulle. Selon les chiffres de l’entreprise, cette technologie ne permet que 4 % de réduction de la consommation électrique.
Pour le collectif, cette emprise doit aussi être mise en perspective avec l’utilité du projet pour le public. Loin du discours d’une infrastructure nécessaire face à l’augmentation des usages, l’entrepôt stocke surtout des données servant aux entreprises (produits financiers, transactions, etc), aux alentours de 80 % selon le collectif. « Jamais un industriel n’a construit un data center car trop de gens voulaient regarder une vidéo de chat sur YouTube », dénonce-t-il. Parmi les clients, on retrouve des entreprises de la tech, mais aussi le géant de l’armement Thalès.
« Ils ont voulu acheter mon silence »
Sébastien Barles, adjoint à l’environnement à la mairie de Marseille
Dans ce contexte, le vent tourne à la mairie (DVG), historiquement plutôt favorable. Une évolution venue de l’aile écologiste de la majorité, en particulier l’adjoint à l’environnement Sébastien Barles, qui participe à la mobilisation du Nuage était sous nos pieds. Si la mairie est d’abord réticente à sa participation, il insiste sur les problèmes pour l’économie locale : « Un data center, c’est dix fois moins d’emplois que n’importe quel autre projet pour une même surface. Pour le territoire, ce n’est que du négatif », avance-t-il.
L’élu déplore alors l’usage massif du mécénat par Digital Realty qui retarde cette prise de conscience. Il l’a lui-même constaté après avoir demandé une taxe sur les données, dans le but de limiter leur quantité. « Juste après, un responsable de Digital Realty m’a proposé d’aider au financement d’un projet que je défendais à Marseille. Ils ont voulu acheter mon silence », affirme l’élu à La Brèche. Autre frein majeur, le port de Marseille étant sous tutelle de l’État, la ville n’est pas décisionnaire. Et la préfecture a donné son feu vert en décembre.
Force est de constater que ce type de projet reste largement plébiscité par le gouvernement sur l’ensemble du territoire. Depuis 2019, ces industriels profitent d’un avantage fiscal sur l’énergie consommée. Le but affiché par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie de l’époque : devenir « la première terre d’accueil des centres de données en Europe ». « Il y a un mythe du retard français qui fait qu’Emmanuel Macron ne veut pas perdre la bataille de l’intelligence artificielle », se désole Le nuage était sous nos pieds.
Marseille commence à saturer et la lutte s’étend à la métropole où un nouveau data center, MRS6, est prévu à Bouc-Bel-Air. Il doit s’installer sur un terrain de 110 000 m2, dix fois plus que le déjà volumineux MRS5. Là aussi, collectifs d’habitants et mairie (LR) s’opposent au projet, qui reste soutenu par l’État en attendant l’avis de l’Autorité environnementale en juillet.
Malheureusement, ni Digital Realty ni la Préfecture n’ont répondu à nos questions.