Avec l’IA, nous produisons plus, mais nous comprenons moins

Astronomie, médecine, physique, robotique… Il ne semble pas exister un seul domaine scientifique où l’intelligence artificielle n’est pas présente. La technologie est non seulement devenue incontournable dans la recherche, mais en plus, elle accompagne des évolutions souvent présentées avec enthousiasme par les chercheurs comme de grands bouleversements

Pourtant, cette hype pourrait être néfaste à la science selon certains. « Cela peut nous faire croire que nous comprenons mieux le monde, mais ce n’est pas forcément vrai. Nous créons des monocultures scientifiques où certaines méthodes ou points de vue dominent les approches alternatives, ce qui rend la science moins innovante et plus vulnérable aux erreurs », nous confie Lisa Messeri, anthropologue à l’université de Yale. La chercheuse a produit un article pour la revue Nature où elle a identifié quatre façons de voir l’IA en science. Comme un oracle, un substitut, un quantificateur ou un arbitre.

En tant qu’oracle, l’IA emmagasine les données et produit des connaissances nouvelles. En substitut, elle sert à produire de nouvelles données, par exemple en simulant des participants humains en sociologie. Pour le monde du Big Data, l’IA en tant que quantificateur va traiter la masse de données trop grosse pour des humains seuls, et quand elle est arbitre, elle corrige les erreurs vues dans d’autres papiers scientifiques.

Ces différents cas de figures s’imposent et s’auto-entretiennent, au point qu’aujourd’hui, les articles scientifiques faisant mention de l’IA sont de plus en plus nombreux. « Nous devons évaluer les risques maintenant, alors que les applications autour de l’IA sont encore naissantes », plaide Lisa Messeri.

Une bonne résolution difficile à tenir pour les chercheurs. Confrontés à la nécessité de publier davantage pour vivre de leur travail, ils voient en l’IA un gros gain de productivité. « On peut produire plus d’études pour moins cher. Ce n’est pas la faute des chercheurs, mais du système. Se demander pourquoi ces outils sont si populaires, c’est aussi se poser la question de la capacité du monde de la recherche à mener son but premier : permettre la création et la diffusion de connaissances », résume Lisa Messeri.

Clément Goutelle

Illustration : Rémy Cattelain

Paru dans La Brèche n° 10 (décembre 2024-février 2025)