Tournesol, une application pour répliquer face à la « crise de l’information »

Les réseaux sociaux et les plates-formes de vidéo en ligne ont une influence toujours plus importante sur la vie démocratique, ainsi qu’en témoignait le mathématicien David Chavalarias dans nos colonnes1. Les algorithmes de recommandation mettent ainsi en avant des contenus clivants, parfois vecteurs de désinformation, dans l’objectif de maximiser le temps passé sur les applications concernées. C’est pour contrer ces effets délétères qu’est né le projet Tournesol, visant à mettre au point un système de recommandation de vidéos collaboratif, pour identifier les contenus d’intérêt général.

« Durant mes études à l’EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne), j’ai découvert le mouvement de l’altruisme efficace », explique Louis Faucon, cofondateur de l’association Tournesol. « L’objectif est de chercher les méthodes les plus efficaces pour changer le monde de manière positive. Et développer des alternatives éthiques aux algorithmes et à l’intelligence artificielle est probablement un des plus grands leviers à activer en ce sens. » C’est le pari qu’a fait l’association, grâce à l’application du même nom.

Une recommandation de contenus collaborative et démocratique

« Au sein de l’association, nous sommes convaincus que la crise générale de l’information, liée à l’accaparement de l’attention par de grosses plates-formes, est un problème qui prend le dessus sur les autres. » Une étude menée par la fondation Mozilla entre juillet 2020 et mai 20212, sur les données de visionnage de plus de 37 000 volontaires, a ainsi souligné le fait que l’algorithme de YouTube proposait régulièrement des contenus problématiques en raison de leur violence, de la désinformation qu’ils véhiculaient ou encore des discours d’incitation à la haine qu’ils relayaient, et ce malgré le désaccord des internautes concernés. De son côté, l’application Tournesol se fixe pour objectif d’assurer une recommandation de contenus collaborative et démocratique, à même de mettre en avant des informations profitables au plus grand nombre. « Par ce biais, nous voulons que les gens soient beaucoup plus au courant de problèmes globaux, comme la crise environnementale par exemple », assure notre interlocuteur.

Concrètement, les personnes inscrites ont la possibilité de voter par comparaison, en indiquant entre deux vidéos laquelle devrait être recommandée. La multiplication de ces comparaisons par de nombreux utilisateurs, associées à des critères secondaires, permet ainsi d’établir un classement collectif. À l’heure actuelle, ce sont plus de 42 000 vidéos qui ont fait l’objet d’un vote, par un ou plusieurs des 20 000 utilisateurs enregistrés sur l’application. Mais cette dernière est encore loin de concurrencer YouTube et son million de recommandations par minute !

Une volonté de diversification de la communauté

L’association travaille à ce sujet pour généraliser les votes et évaluer plus de vidéos, comme le détaille le chercheur : « En tant qu’utilisateur, j’ai regardé 2 000 vidéos en trois ans, ce qui est déjà beaucoup. En réalité, personne n’est en mesure de s’exprimer sur plus de 0,1 % de l’ensemble des contenus, tellement ils sont nombreux. Mais au bout d’un certain nombre de votes effectués, on peut avoir un “représentant algorithmique” qui sera en mesure d’exprimer correctement nos choix. Une autre possibilité est de déléguer son vote en quelqu’un en qui on a confiance. »

Si Tournesol vise à « contrecarrer des phénomènes comme les bulles de filtre, qui entraînent une polarisation entre des parties qui deviennent incapables de communiquer entre elles », l’association souhaite ardemment développer sa communauté, mais également la diversifier. « Aujourd’hui, notre communauté est homogène et les contenus mis en avant s’en ressentent. » Malgré tout, le fonctionnement collaboratif offre une réponse à la crise de l’information que Louis Faucon résume en ces mots : « Quand on laisse aux citoyens la possibilité de déterminer ce qui, selon eux, devrait être recommandé, on a des contenus beaucoup plus pertinents qui ressortent. »

Jp Peyrache

Illustration : Sojo

Paru dans La Brèche n° 9 (août-octobre 2024)

  1. « Les réseaux sociaux ou la mécanique de manipulation de l’opinion », La Brèche n° 7, février-avril 2024 ↩︎
  2. “YouTube Regrets: A Crowdsourced Investigation into YouTube’s Recommendation Algorithm” (« Les regrets de YouTube : une étude participative sur l’algorithme de recommandation de YouTube »), https://foundation.mozilla.org ↩︎