Les juteux cadeaux fiscaux de la France aux fédérations sportives
Depuis une dizaine d’années, l’Hexagone accueille de plus en plus de compétitions sportives internationales. Un symbole de l’attractivité française selon le gouvernement, qui traduit en réalité des optimisations fiscales uniques pour les fédérations sportives internationales, et autant de manque à gagner pour le trésor national.
« Notre pays doit être en mesure, à l’instar des autres grands événements internationaux sportifs qu’il organise chaque année, de renouer avec la Formule 1, pour le plaisir de tous. » L’an dernier, Emmanuel Macron écrivait au maire de Nice, Christian Estrosi, pour soutenir son projet de relancer un grand prix national, comme il l’avait déjà fait au Castellet, entre 2018 et 2022. Une mission conjointe avec Nicolas Deschaux, le président de la Fédération française du sport automobile, a été autorisée par Macron autour des conditions nécessaires pour un retour de la Formule 1 dans l’Hexagone. Des conditions onéreuses, mais pas impossibles, surtout fiscalement. « Si la France est privilégiée par bien des Fédérations sportives internationales, ce n’est pas un hasard », pointe un membre du CIO, le Comité international olympique. « Fiscalement, on s’y retrouve. »
Avec les JO de Paris, des dispositions avaient été prises dès le début de la campagne et les premières présentations du projet. « Les dispositions fiscales françaises sont favorables à l’accueil des Jeux de 2024 », pouvait-on ainsi lire sur la double page consacrée à la taxation. « Les procédures et les organismes responsables en matière d’impôts et de taxes sont d’ores et déjà adaptés à l’accueil de grands événements grâce à la mise en place de mesures d’exemption fiscale spécifiques. » Une référence à la loi de finances rectificatives no 2014-1655 du 29 décembre 2014 sur l’organisation des compétitions sportives internationales dans l’Hexagone.
Hollande a réalisé les promesses de Sarkozy
Pour bénéficier de ces exemptions fiscales, la compétition devait être attribuée par un comité international et « entraîner des retombées économiques exceptionnelles ». Un leurre, vu le gouffre financier engendré par la plupart de ces événements, mais quelle importance; aucun parti politique n’allait se frotter au business du sport.
Pour preuve, la promulgation de cette loi sous François Hollande datait d’une promesse de Nicolas Sarkozy, qui assurait alors à l’UEFA une exonération totale d’impôts pour l’organisation de l’Euro 2016. « L’UEFA ne sera pas assujettie à des taxes ou impôts en France sur son chiffre d’affaires et/ou sur toute forme de revenus perçus ou à percevoir par l’UEFA ou à toute autre taxe, du fait de l’organisation de l’UEFA Euro 2016 et ses opérations connexes en France », écrivit Éric Woerth, alors ministre du Budget, dans une lettre officielle datée du 2 février 2010. Un engagement lourd, surtout en période de restriction budgétaire, mais pas de panique, le sport était si rassembleur qu’un président de gauche parachevait les paroles de son prédécesseur de droite. Un exploit qui permit à d’autres tournois majeurs d’être concernés à l’adoption du texte de loi : la Coupe du monde d’aviron 2015, l’EuroBasket 2015, la Coupe du monde de handball 2017, la Coupe du monde de canoë-kayak 2017, la Coupe du monde de hockey sur glace 2017, la Ryder Cup de golf 2018… Sous réserve de victoire française, la Coupe du monde de football féminin 2019 était également visée. Sans oublier les JO 2024, qui « devraient coûter entre trois et cinq milliards d’euros d’argent public », d’après l’estimation du président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici1.
Lutte, rugby, ski : tous les sports veulent la France
Jean-Christophe Lapouble, professeur à l’université de Poitiers, résume parfaitement les enjeux de cette loi2 : « Les organismes chargés de l’organisation en France d’une compétition sportive internationale et, le cas échéant, les filiales dont ils détiennent directement ou indirectement plus de la moitié du capital ne sont pas redevables (à raison des bénéfices réalisés en France et des revenus de source française, lorsque ces bénéfices et ces revenus sont directement liés à l’organisation de la compétition sportive internationale) de : l’impôt sur les sociétés; l’impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux; la retenue à la source pour les sociétés de capital risque; la retenue sur l’impôt sur le revenu ou sur l’impôt sur les sociétés ou les personnes physiques qui n’ont pas dans ce pays d’installation professionnelle permanente; des contributions diverses liées à l’apprentissage et à la formation. »
Sans surprise, de nombreuses fédérations internationales étaient alléchées par cette promesse, couplée à la volonté farouche de trois présidents successifs (Sarkozy, Hollande, et surtout Macron) de faire de la France une vitrine sportive capable d’organiser n’importe quel événement. Lutte (2017), rugby ou ski (2023), les championnats du monde défilaient au même titre que les déficits abyssaux en attendant les JO et leurs innombrables conditions administratives et fiscales3. « Le Cojop (NDLR, Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques) ne sera pas sujet à ou redevable d’impôts directs ou indirects dans le pays hôte en lien avec un quelconque versement ou une quelconque contribution en sa faveur de la part du CIO ou d’Entités contrôlées par le CIO », détaillait déjà le contrat de ville hôte.
Manque à gagner de 65 millions en 2023
Néanmoins, les dieux de l’Olympe attendaient plus, bien plus de la France… Au vu de la lettre de garantie envoyée par le Premier ministre d’alors, Manuel Valls, à Thomas Bach, président du CIO, le 3 août 2016. Contrairement aux discours rabâchés à la télévision « des Jeux qui payent les Jeux », l’État s’engageait en privé auprès du CIO à se porter garant du Cojop jusqu’à 3 milliards d’euros de déficit ! Une précaution, mais surtout une protection pour le CIO qui obtint de surcroît une exonération d’impôts pour son chronométreur et sponsor officiel, Omega. Un cadeau de 4 millions d’euros auquel s’en greffaient d’autres, bien plus importants : les royalties versées par le Cojop au CIO sur la base des revenus issus de son programme marketing étant par exemple « exonérées de retenue à la source ». Selon le rapport relatif à l’effort financier public dans le domaine du sport, publié en annexe du projet de loi des finances pour 2023, ces royalties représentaient un manque à gagner de 65 millions d’euros pour la France. Pour 2024, avec les Jeux olympiques, ce chiffre devrait être largement dépassé.
La France, paradis fiscal pour fédérations sportives et internationales
Incroyablement docile, la septième puissance économique mondiale a tenté de créer un paradis fiscal pour l’ensemble des fédérations sportives internationales, notamment la FIFA, qui ouvrit une antenne parisienne en 2021. Rêvant d’un déménagement complet de l’instance du football mondial, Macron et son conseiller sport, Cyril Mourin, ont accédé oralement à des requêtes diplomatiques et fiscales presque insensées du président de la FIFA, Gianni Infantino. Logiquement, l’amendement brinquebalant promu par les députés de la majorité fut censuré par le Conseil constitutionnel le 28 décembre 2023, entérinant les derniers espoirs d’une délocalisation totale de la FIFA à Paris. L’antenne de la FIFA a depuis déménagé de l’hôtel de la Marine pour des locaux plus petits. De la trentaine d’employés, ils ne sont désormais qu’une dizaine.
Les ratés avec la FIFA et World Rugby
Ce couac rappelait l’épisode de la Coupe du monde de rugby à XIII prévue en 2025 en France, mais finalement annulée en raison d’un problème de « viabilité financière » selon le Comité d’organisation hexagonal. De quoi irriter World Rugby, la fédération internationale, qui avait bien compris les raisons cachées : la France n’avait pas de souci économique, mais simplement d’autres priorités.
En coulisses, la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, avait soigneusement influé pour renoncer au rugby à XIII et donner la priorité des ressources à la candidature de l’Euro féminin de football en 2025. Contrairement à l’avis des spécialistes, jugeant impossible une victoire française, la ministre poursuivit sa quête… en vain. La Suisse fut désignée hôte de la compétition par l’UEFA. Un mauvais calcul, un de plus, qui coûta encore de l’argent à un État décidément très peu regardant lorsqu’il faut dépenser et séduire les fédérations sportives internationales.