Philippe Tribaudeau ou l’âpre combat judiciaire d’un électro-hypersensible

Philippe Tribaudeau est électro-hypersensible (EHS) depuis 2008. Il ne supporte pas les ondes électromagnétiques générées par les antennes-relais, les lignes à haute ou moyenne tension, etc. Il doit donc trouver un point de chute à l’abri des ondes. Défi compliqué car les « zones blanches » se raréfient avec le souhait gouvernemental d’une couverture mobile de tout le territoire. Philippe a trouvé la sienne à 15 kilomètres de Sisteron, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Après avoir serpenté sur la départementale de la forêt domaniale du Vanson, il faut quitter la route goudronnée et encore parcourir 300 mètres de piste pour arriver à son campement. Il vit ici à quelques kilomètres de la commune d’Entrepierre, depuis avril 2015 : « Je suis ici, car la vallée est non électrifiée. »

Le campement de fortune, installé à proximité d’un torrent,se compose d’une caravane de nuit, d’une autre de jour et d’un camping-car pour faire la cuisine : « Au début, nous avons vécu à trois pendant un an dans une caravane de 6 mètres carrés. » Un lieu isolé, certes, mais dans une forêt exploitée.

En janvier 2023, l’Office national des forêts (ONF) a saisi la justice afin de le faire expulser, expliquant qu’il occupait illégalement une de ses parcelles. La décision du tribunal judiciaire de Digne-les-Bains, par son ordonnance de référé du 22 février 2024, reconnaît en première instance le droit au logement in situ de Philippe Tribaudeau : « Le juge a estimé que j’avais démontré ma pathologie et que je n’avais pas la possibilité de vivre ailleurs. L’ONF a été débouté pour leur demande d’expulsion d’un SDF. C’est une reconnaissance. À travers ce jugement, l’État reconnaît mon électro-hypersensibilité. » L’ONF a fait appel – non suspensif – et la décision sera rendue en décembre 2024. « Je ne peux pas être expulsé d’ici là. »

Mais l’antenne installée depuis deux ans à Entrepierre pourrait être mise en route, ce qui aurait le même effet : « L’antenne est là. Il leur suffit d’appuyer sur un bouton pour l’activer. Cela fait deux ans qu’ils ne le font pas. Ils reconnaissent implicitement que je n’ai nulle part où aller. »

« J’irai devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour défendre le droit de vive en zone
blanche
»

Philippe Tribaudeau, électro-hypersensible

À travers son dossier « hors normes », le fondateur de l’association « Une terre pour les EHS » espère une reconnaissance de la toxicité des ondes. Il a également saisi le tribunal administratif le 1er mars pour enjoindre le préfet des Alpes-de-Haute-Provence de lui trouver un logement adapté à ses besoins et capacités. « Jusque-là l’État a été incapable de me proposer un logement. » Des terrains lui ont été proposés, sans succès : « Ça fait des années et personne n’a trouvé de solution. En septembre 2023, le préfet m’a proposé deux zones blanches en ce qui concerne la téléphonie mobile, mais les terrains comportaient des lignes de haute et de moyenne tensions. Ce n’était pas compatible avec mon état. Une zone blanche, ce n’est pas que le téléphone… » Le 9 avril, le tribunal administratif a débouté l’électro-hypersensible, argumentant que le lien de causalité entre l’EHS et l’exposition aux ondes électromagnétiques ne serait pas médicalement et scientifiquement établi.

Philippe Tribaudeau ne se laisse pas abattre et poursuit le combat : « Je fais appel et vais pourvoir l’affaire en cassation devant le Conseil d’État. » Il ne se fait que peu d’illusions : « Je risque de perdre. » Mais il ne s’arrêtera pas en si bon chemin : « J’irai devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour défendre le droit de vivre en zone blanche pour un EHS. Il y a une possibilité de gagner. Cela permettrait de faire jurisprudence sur l’ensemble des pays de l’Union européenne. » Philippe Tribaudeau a bien conscience que le pari est audacieux : « Tant que ce n’est pas perdu, je peux rêver de gagner. »

Clément Goutelle

Illustration : Thiriet

Paru dans La Brèche n° 8 (mai-juillet 2024)