Mystères et misères de la religion du wack

« Il y a 60% de musulmans, 40% de catholiques et 100% d’animistes ! » En Afrique subsaharienne où les populations pratiquent officiellement l’islam ou le christianisme, de nombreuses personnes ne se fient pas moins au pouvoir de «forces mystiques» pour tirer leur épingle du jeu socio-économique. La croyance est répandue dans plusieurs pays et son influence est toujours très puissante. Voyage au cœur de la religion du wack.

« Pas besoin de freiner ! » Kassi ne s’arrête ni aux feux rouges, ni aux stops. « Je mets un temps record pour faire Ouagadougou-Abidjan. Je vais tout droit, à fond sans m’arrêter », me dit-il en farfouillant dans sa boîte à gants. Et, en plus de tout ça, il ne risque même pas de se prendre une bête qui se jetterait sous ses roues.

– Je ne crains rien, j’ai un citron wacké.
– Ah bon, ben ça va alors !

Il voit bien que je n’y crois pas une seconde à son histoire : « Au village, j’ai fait wacker un citron. Quand je conduis, je le mets sur le tableau de bord et je peux rouler à fond. C’est 100% sans risque ! »

L’animisme englobe les croyances en un esprit qui anime les êtres vivants, les éléments naturels et les objets, qui peut agir de manière bénéfique ou non sur le monde tangible. On retrouve ces croyances entre religion, magie, mythe et médecine sur tous les continents : Amérique du Sud avec les chamans, Asie, Europe avec les Samis en Scandinavie et l’Afrique. Mais la différence est qu’en Afrique subsaharienne, l’animisme est particulièrement populaire. Il s’invite dans tous les champs de la société des dirigeants politiques aux militaires, et est bien sûr l’occasion de mettre au point quelques belles arnaques.

La pratique et la croyance au wack sont si répandues qu’elles ont fini par inonder la toile. Lorsqu’un wackman originaire du Bénin propose sur les réseaux sociaux de « sacrifier 7 poussins à la mer pour devenir riche », contre quelques billets bien évidemment, on peut se demander s’il faut en rire ou en douter. Une chose est sûre, c’est que le wack n’a plus de frontière. Il est désormais partout. Et la sorcellerie à distance ou le wack 2.0 a sûrement de l’avenir !

Le combattant wacké ne craint pas les balles

Au Burkina Faso, pays d’environ 18 millions d’habitants au cœur de l’Afrique de l’Ouest, beaucoup de gens croient, dur comme fer, qu’on n’a pas nécessairement besoin de gilet pare-balles pour se protéger de la fusillade d’un terroriste ou d’un tireur civil ou militaire. Selon une idée très répandue et que l’on continue de raconter, il suffirait de se faire confectionner des amulettes, c’est-à-dire des objets qu’ils portent constamment sur eux pour, disent-ils, échapper à «n’importe quelle attaque à l’arme à feu». Ces «protections magiques» sont portées sous forme de bague, de bracelet ou de ceinture. C’est une conviction bien ancrée dans la tribu des chasseurs traditionnels qui peuplent aussi bien ce pays que la Côte-d’Ivoire et le Mali voisins. Victor Sanou, journaliste et enseignant-chercheur propage la croyance à qui veut l’entendre. Sa parole porte d’autant plus que son défunt père a été, pendant longtemps, le chef de la confrérie des chasseurs traditionnels appelés Dozo dans la région de l’Ouest. Il a été lui-même initié à la science mystique.

Ce serait grâce à ces «forces» que le défunt président togolais Gnassingbé Eyadéma a échappé à un crash d’avion en 1974. Lorsque Guillaume Soro, l’actuel président du parlement ivoirien et membre de la confrérie Dozo a survécu à une fusillade en 2004, les adeptes de cette croyance n’ont pas hésité à y voir les vertus d’un pouvoir mystique.

En Côte-d’Ivoire où une guerre civile a opposé les populations du Nord – majoritairement musulmanes – à celles du Sud – majoritairement chrétiennes – moult anecdotes aussi invraisemblables qu’irrationnelles circulent sur les fameux «combattants wackés» qui auraient mis en déroute des militaires de l’armée régulière ivoirienne. Qu’à cela ne tienne. On leur attribue des pouvoirs qui leur permettent de se rendre invisibles à l’ennemi ou même imperméables aux balles.

Un talisman pour conquérir une femme

La croyance aux pouvoirs occultes ne se limite pas seulement au domaine de la guerre. Au Sénégal comme au Mali, un simple talisman est outil indispensable à la séduction. A l’homme qui veut conquérir une femme, le marabout remet par exemple une poudre à répandre sur une rue où celle-ci a l’habitude de passer et le tour est joué. Donc, pas besoin de gaspiller sa salive ou de perdre son temps pour draguer une nana. La drague mystique est aussi valable pour les femmes. Celles-ci font « wacker » les perlent qu’elles portent à la taille, ou versent une poudre dans la boisson ou dans la nourriture de l’homme qu’elles veulent séduire. Ça peut être aussi un parfum dont l’inhalation suffit pour faire tourner la tête de son homme.

« A l’approche d’échéances électorales, on assiste à des sacrifices d’animaux dont des morceaux sont déposés à différents carrefours des villes et campagnes »

Selon des témoignages qui inondent la presse populaire à Dakar, la capitale sénégalaise, plusieurs jeunes dames se sont faites ainsi avoir par des «moins que rien». Dans le quartier de Médina, les adeptes des philtres mystiques d’amour s’appellent des «Boy Peigne lisse». Tout simplement parce qu’ils auraient le pouvoir de caresser leurs victimes dans le sens du poil au point de leur ôter toute conscience de ce qui leur arrive.

« Je n’ai jamais compris comment ce monsieur a pu me séduire au point de me mettre enceinte», lit-on de la confession amère d’une victime de la drague envoûtante. Le moins que l’on puisse dire c’est que le phénomène est si courant qu’un marché est consacré à la vente des produits. Sous l’effet de cette pratique, une belle demoiselle peut se donner à quelqu’un sans savoir pourquoi. Et c’est bien longtemps après qu’elle se «réveille  de son sommeil ». Info ou intox ? Toujours est-il que des marabouts rompus dans l’art de la séduction mystique sont devenus célèbres et vendent leurs services parfois contre de fortes sommes d’argent.

Inoussa Thiam est ressortissant du Sénégal et garde encore quelques souvenirs des témoignages entendus ici et là pendant qu’il habitait Dakar. Il retient d’échanges avec un marabout les confessions suivantes : « les hommes viennent en masse solliciter mes services. Le plus souvent, ils viennent me dire de leur faire des gris-gris pour que les femmes ou jeunes filles fassent tout ce qu’ils leur disent. J’ai des cadenas pour attirer les filles. Il suffit que l’homme me donne le nom de sa copine et celui de sa maman et je lui fais un talisman avec un cadenas. Tout ce que l’homme dit, la femme le fait sans parler». Le marabout va un peu plus loin dans le mode opératoire d’un rituel d’envoûtement. « Un homme m’a une fois amené le slip de sa copine ici pour que cette dernière accepte de coucher avec lui. J’ai fait le travail pour lui, après cela il est venu me remercier car selon lui, depuis lors, la jeune fille ne lui résiste plus».

Le wack, un sacrifice politique

Au Bénin, pays limitrophe entre autres avec le Togo et le Burkina Faso, c’est la conquête du pouvoir politique qui fait la célébrité des wackmen, entendez «faiseurs de wack». En période électorale, de nombreux dirigeants y accourent pour disent-ils accroître leurs chances d’être élus présidents, députés, conseillers municipaux, ou pour être nommés ministres ou dirigeants de juteuses sociétés d’Etat. « A l’approche d’échéances électorales, on assiste à des sacrifices d’animaux dont des morceaux sont déposés à différents carrefours des villes et campagnes », explique le Béninois Brice Amoussou.

Vu le trafic, je me dis qu’il doit y avoir un paquet de citrons wackés sur les tableaux de bord

Le wack ne fait pas toujours sourire. Certains politiciens vont même jusqu’à des sacrifices humains pour obtenir du pouvoir. Les albinos sont des victimes très prisées au point de susciter la levée de boucliers d’associations de défense des droits humains de plusieurs pays d’Afrique centrale – Gabon, Congo, Kenya, Cameroun, etc.- et de l’Ouest. A en croire les statistiques publiées en 2011 par l’association gabonaise de lutte contre les crimes rituels, ce sont au total 28 enfants qui ont été tués dans ce pays. Le principal mobile de ces crimes est la recherche d’organes humains comme la langue, les yeux, les seins et le sexe pour dit-on en prendre le pouvoir. En mars 2005, la même association signalait déjà l’enlèvement et la mutilation de 20 femmes et de 14 hommes.

La protection à grand coup de citrons ou autres fruits ou légumes wackés ne se limite pas bien entendu aux conducteurs allergiques au frein. Le recours à la « science mystique » sert également dans la « sécurisation » d’un domicile, bureau ou véhicule. Pas besoin d’un écriteau « chien dangereux » quand on a un bon wack. Au Burkina Faso, des hauts responsables font appel à des wackmen pour «blinder» leurs lieux de travail contre des concurrents ou des collaborateurs jaloux de leurs positions. A la nomination d’un nouveau patron, c’est le mobilier entier qui est systématiquement remplacé pour dit-on éviter d’être victime d’«attaques mystiques» d’un prédécesseur qui cacherait des amulettes dans les meubles par exemple. La présence d’un chat noir ou blanc dans un lieu de travail est souvent interprétée comme la dissimulation d’un sorcier qui se serait rendu dans les lieux pour faire du mal à son adversaire politique ou économique.

Daouda Yattara, « aussi puissant que le diable lui-même »

La preuve que le wack est un véritable business au sud du Sahara, est donnée par la renommée acquise par le sieur Daouda Yattara qui officie depuis plusieurs années dans la région de Ségou au Mali. Là-bas, on le considère comme «Satan» parce qu’il se considérait comme « aussi puissant que le diable lui-même ». En 2010, il serait revenu du Benin avec un fétiche « vaudou » âgé de près de 300 ans qui lui aurait été donné en signe de reconnaissance pour ses efforts dans la promotion du fétichisme. Il est le marabout attitré de plusieurs hommes politiques africains dont le président sénégalais Macky Sall. Ses fréquentes visites à Dakar font l’objet de nombreuses rumeurs dans la presse. Il a de grandes propriétés immobilières au Mali et de nombreux camions de transport. Et avec son nouveau fétiche du nom de « N’Kôtôrobléni Filiyatô » en provenance de la Guinée Conakry, il aurait déjà fait sept morts.

Dans une interview qu’il a accordée à une télévision locale, un de ses assistants révèle que de nombreux députés, chefs de partis, ministres et hauts responsables administratifs accourent à lui du Mali, de la Côte-d’Ivoire, du Gabon et du Cameroun pour se maintenir à leurs postes ou accroître leurs pouvoirs. Des footballeurs internationaux comptent également parmi ses clients.

« Tuer un poulet ? T’as raison, ça, ça marche ! »

Un nuage de fumée m’annonce le retour de mon ami Kassi. Miracle, il est saint et sauf. « Tu voies, ça marche ! », se vante-t-il en passant la tête par la fenêtre. Il me propose d’aller « m’apprendre » à prier à la mosquée pour m’assurer une belle journée. Je décline l’invitation en lui prétextant que je ne suis pas croyant. Il me fait des yeux ronds. Je le rassure en lui disant que je suis animiste et que je préfère tuer un poulet que faire une prière. « Tuer un poulet ? T’as raison, ça, ça marche ! », me répond-il convaincu, avant de tracer en direction du centre-ville. J’espère juste qu’il ne croisera pas une autre voiture wackée et encore moins un piéton qui n’aurait pas eu l’idée de glisser un citron au pouvoir magique dans sa poche. En même temps, dans nos capitales, vu le trafic, je me dis qu’il doit il y avoir un paquet de citrons wackés sur les tableaux de bord.

Koffi Amétépé

Illustrations par Rousse