Géo-ingénierie : quand la réalité dépasse la fiction

« C’est quoi cette histoire d’imiter le Pinatubo avec votre armée de l’air ?
— Nous espérons même le réitérer en deux fois plus puissant. C’est ce que recommande notre Académie des sciences, et le Premier ministre a donné son aval.
— Mais l’accord… (Mary s’assit pour se concentrer sur la voix de son interlocutrice.) Tu sais ce qu’il dit. Pas d’intervention atmosphérique sans consultations préalables.
— Nous rompons l’accord, annonça froidement Chandra.
— Personne ne sait quels effets ça pourrait avoir !
— Les mêmes que le Pinatubo. En deux fois mieux, donc, avec un peu de chance. C’est exactement ce qu’il nous faut. »

C’est dans le roman Le Ministère du futur1 de Kim Stanley Robinson que l’on trouve cet échange. Dans ce roman de science-fiction (ou plutôt de cli-fi – climate fiction2), l’auteur imagine le gouvernement indien renoncer aux traités internationaux3 et rejeter du dioxyde de soufre dans l’atmosphère afin de limiter le réchauffement climatique. À l’instar de ce qu’il se passa en juin 1991 lorsque le Pinatubo, volcan situé aux Philippines, entra en éruption et relâcha dans l’atmosphère 17 millions de tonnes de dioxyde de soufre (un charmant produit qui mélangé à l’eau se transforme en acide sulfurique qui absorbe et réfléchit le rayonnement solaire). Outre la centaine de morts, la conséquence en fut la baisse de la température du globe d’environ un demi-degré pendant un an.

L’écart est souvent ténu entre les phénomènes naturels, l’imagination fertile des romanciers et les élucubrations des scientifiques et politiques les plus inventifs. À titre d’exemple, la start-up américaine Make Sunsets vous propose moyennant une contribution de 10 dollars d’éliminer une tonne de CO2 en envoyant des ballons chargés de soufre dans la stratosphère.

Outre l’injection d’aérosols soufrés, les idées ne manquent pas. Depuis plusieurs années, on stimule les précipitations dans certains pays – en Chine pour s’assurer d’un ciel radieux lors des JO de Pékin, en France pour lutter contre la grêle, et lors de la guerre du Viêtnam quand l’armée américaine provoqua des précipitations importantes censées freiner l’avancée ennemie. D’aucuns tentent de capturer et de stocker le carbone à l’instar de la société suisse Climeworks4 qui vient d’implanter une de ses usines en Islande et imagine en implanter 750 000 autres (!). La NASA5, de son côté, imagine empêcher la fonte des glaciers en isolant leur base des eaux les plus chaudes, et la société américaine Planktos6 envisageait de déverser des millions de tonnes de fer et d’azote afin de fertiliser les océans pour favoriser la prolifération de microalgues absorbant le carbone de l’air. La principale question que pose l’ensemble de ces tentatives de géo-ingénierie7 est celle des rôles respectifs de la science et du politique, de l’individu et du collectif. C’est ce sujet qui est abordé dans Choc terminal8, autre roman passionnant de cli-fi de Neal Stephenson paru récemment, qui met en scène un milliardaire texan tentant de mettre fin au réchauffement de la planète.

Invoquer les différentes technologies envisagées en matière de géo-ingénierie, c’est aussi pour tous ceux qui défendent l’exploitation des ressources carbonées, une façon de retarder l’échéance d’interdiction de l’utilisation de ces ressources. Et nul n’a oublié le discours du Sultan Al-Jaber, président de la COP28 et patron de la compagnie nationale pétrolière émiratie, qui invoqua avec insistance l’importance de la technologie pour atteindre l’objectif des accords de Paris !

Difficile à ce stade de savoir si l’on peut faire confiance aux « bricoleurs » du climat. On se souviendra à ce sujet de la sagesse du Grand Schtroumpf qui dans le Schtroumpfeur de pluie9 sut mettre fin aux désastres que « la machine à schtroumpfer la pluie et le beau temps » provoquait. Machine inventée en toute bonne foi et naïveté par le Schtroumpf bricoleur. Dans une perspective bien moins généreuse, Edgar P. Jacobs, dans sa bande dessinée intitulée SOS météores10 créait sans doute une des premières œuvres de cli-fi, mettant en scène un dangereux savant aux ordres d’une puissance étrangère dont l’objectif était de manipuler le climat. Heureusement, Blake et Mortimer purent anéantir ces projets maléfiques ! Mais ça, c’était de la fiction…

Daniel Damart

Illustration : Sabattier

Paru dans La Brèche numéro 7 (février-avril 2024)

  1. Éditions Bragelone, 2023 ↩︎
  2. Cli-fi : climate fiction, sous-genre de la science-fiction abordant le thème du changement climatique, popularisé par le film Soleil vert ↩︎
  3. Dont la convention EMOD (convention sur l’interdiction de l’ONU interdisant d’utiliser des techniques de modification de l’environnement, signée par l’Inde en 1978) ↩︎
  4. https://climeworks.com/plant-orca ↩︎
  5. https://sealevel.nasa.gov/missions/omg ↩︎
  6. https://www.planktos.com/ ↩︎
  7. Le GIEC définit la géo-ingénierie comme un « vaste ensemble de méthodes et de techniques fonctionnant à grande échelle, et qui visent à modifier délibérément le système climatique pour lutter contre les effets du changement climatique », Changements climatiques 2014, rapport de synthèse du GIEC ↩︎
  8. Albin Michel, 2023 ↩︎
  9. Peyo, Éditions Dupuis, 1970 ↩︎
  10. Éditions du Lombard, 1958 ↩︎